cacophonie où chacun s'entêtant dans son bon droit, ne voulut pas céder une mesure. Le ministre du Commonwealth arriva sur ces entrefaites et surpris, puis vexé, s'enquit auprès du gentleman l'accueillant, s'il devait considérer cette réception comme une marque de discrimination raciale à son endroit.

* *  *

A Callander, la population entière frisait la crise nerveuse, tant les enquêteurs officiels et bénévoles vous harcelaient. Chacun avait sa méthode, d'ailleurs. Tyler donnait à ses interrogatoires la forme d'une amicale conversation et parce qu'il était d'un naturel paisible, on l'envoyait aux cerises sans y mettre trop de formes. McGrew procédait de façon pateline. Quand on lui répondait qu'on n'avait jamais aperçu d'étranger au nez crochu et à moustache noire et que de plus, on s'en fichait, il encaissait les rebuffades sans broncher, mais disait doucement :

— Dommage que vous ne soyez pas plus coopératif, Mr Ahcray ou Mrs Pitlochry ou encore cher vieux Bave ou chère Miss Lynwilg, parce que c'est moi qui vous servirai lorsque vous viendrez à l'épicerie.

Cette remarque, apparemment anodine, traumatisait celui ou celle à qui elle était adressée, car elle sous-entendait que les meilleurs produits manqueraient toujours et que dans les conversations incessantes tenues dans le magasin des McGrew, votre réputation en prendrait un sérieux coup.

Fergus Mclntyre, quand on le rembarrait, déclarait que cette saison, il ne faudrait pas espérer lui voir fermer les yeux sur les délits de pêche et Dieu sait que les délits possibles se révélaient nombreux et qu'un garde tatillon pouvait vous gâter votre plaisir au point de vous dégoûter de votre délassement favori.

Ted Boolitt clamait partout que cette enquête lui permettait enfin de connaître ses vrais amis, ceux à qui il réservait son meilleur whisky et auxquels il consentirait les plus larges crédits. Tant et si bien que quelques heures après le début des investigations, ce n'était pas un, mais des centaines d'hommes à nez courbe et à moustache noire qu'on avait aperçus rôdant dans tous les coins de Callander.

Toutefois, et parce que le hasard aime parfois à respecter la logique, il appartenait au sergent McClostaugh d'apporter la révélation que ses amis et   lui-même   attendaient   dans   une   impatience fébrile. Après subi un certain nombre d'échecs qui l'avaient mis d'une humeur épouvantable, Archi-bald passa devant la maisonnette qu'occupait Ted Truro et sa femme Elspeth. Ted était employé au chemin de fer et possédait comme caractère essentiel de pouvoir boire presque autant de whisky qu'Archibald lui-même. Seuls, ses maigres revenus mettaient un frein à une soif inextinguible. Archibald n'était pas particulièrement lié avec les Truro et s'il pénétra chez eux, ce fut, sans doute, que la main du Seigneur le poussait à la seule fin que les purs ne souffrent plus et que les méchants soient punis, ainsi qu'il est promis dans les Livres. Truro buvait mélancoliquement une tasse de thé sous le regard sévère de son épouse lorsque McClostaugh entra. Après les salutations d'usage on l'invita à s'asseoir et on lui offrit de partager le thé du maître de maison. Timide, le policier s'enquit :

   Chère Mrs Truro, vous... vous n'auriez rien de... enfin de plus fortifiant?

   Non!

L'espoir qui, un instant, avait lui dans le regard de Truro, s'éteignit, pendant que la mauvaise humeur d'Archibald se renforçait.

—  J'étais venu vous demander si vous n'aviez
pas remarqué, ces jours derniers, un type maigre,
 étranger au pays, avec un nez courbe et une moustache noire, mais naturellement, vous témoignez d'une aussi mauvaise volonté que les autres! Écoutez-moi, Ted Truro, si jamais...

   Et si vous me laissiez placer un mot, McClos-taugh?

   Pour dire quoi?

   Que je l'ai vu votre bonhomme et que je ne suis pas près de l'oublier!

Avec une magnifique inconscience, le sergent s'écria :

   Allez-vous parler, tonnerre de Dieu!

   Votre type est arrivé par le train de cinq heures et sous prétexte qu'étant occupé ailleurs, je n'ai pu recevoir son billet tout de suite, il m'a engueulé en m'assurant que chez lui, à Aberdeen, on me flanquerait à la porte pour un tel manquement au règlement.

Le policier, étranglé par l'émotion, réclama des assurances.

   Truro, mon vieux, vous êtes sûr qu'il a parlé d'Aberdeen?

   Et comment!

   Vous en jureriez sur la Bible ?

   Avec le salut éternel ou l'enfer en prime !

   Attention,  Truro,  pesez bien vos paroles avant de me répondre. Quand avez-vous vu ce type?

— Attendez... Je remplaçais Jim Mallaig qui s'était foulé la cheville... ma foi, oui, c'était le jour où l'on a étranglé cette pauvre femme au Cygne Noir.

En quittant les Truro, le sergent Archibald McClostaugh estimait qu'il était sans aucun doute, un des meilleurs policiers du Royaume-Uni.

* *  *

Les chauffeurs de taxis d'Edinburgh s'étaient divisés en deux clans : ceux qui avaient décidé de fuir Imogène sitôt qu'ils apercevaient sa pittoresque silhouette et ceux qui lui savaient gré d'avoir cloué le bec à ce vantard de Hugh Croe. A l'aéroport, les premiers, même s'ils avaient attendu en stationnement, démarraient sitôt que Miss McCar-thery se montrait sur leur horizon. Les seconds lui présentaient des offres de service. Imogène avait un grand besoin de ce réconfort, car elle avait complètement échoué dans son enquête, tous les employés interrogés lui ayant répondu qu'ils n'avaient pas plus le temps de distinguer tel ou tel individu dans le flot des voyageurs débarquant ou embarquant,  que de répondre  à des questions que les mieux élevés qualifiaient d'inutiles et les autres de stupides.

Démoralisée par son échec, la fille du capitaine McCarthery monta dans le premier taxi qui se présenta à elle. Elle eut la chance qu'il fût conduit par Brett Bothwell le plus joyeux farceur de la corporation, qui oublia de pousser la vitre le séparant de sa cliente.

   Alors, Miss, comment jugez-vous notre ville?

   Je n'ai pas le cœur d'y réfléchir.

   De gros ennuis, Miss ?

En d'autres temps, Imogène eut prié le personnage de se mêler de ses affaires, mais elle était dans cet instant dépressif qui suit la mort d'une grande espérance. Elle avait pensé de bonne foi qu'elle réussirait mieux que la police soupçonnée de ne pas mettre l'énergie nécessaire dans les tâches auxquelles elle ne croyait pas. L'Écossaise était assez abattue pour accepter toutes les consolations, pour s'épancher dans la première oreille complaisante.

   Je cherchais quelqu'un... ou plutôt, je voulais retrouver sa trace à l'aéroport mais personne ne semble l'avoir vu...

   Quelqu'un qui vous tient à cœur, Miss ?

   Quelqu'un que je voudrais faire pendre.

   Simplement?

—  Simplement.

Bien sûr, Bothwell était persuadé de trimbaler une piquée. Il se rappela alors que son vieil ennemi Nel Winthill gardait la chambre sous prétexte d'un rhume qui n'était, en vérité, que la suite d'une monstrueuse cuite consécutive à la victoire du Celtique, équipe de football envers laquelle il nourrissait une admiration particulière depuis sa plus tendre enfance. Il se mit à rire à l'idée de la tête que ferait Nel en voyant apparaître cette bonne femme. Il était capable de se jeter par la fenêtre s'il n'était pas complètement dessoûlé.

—  Miss... Je pense tout d'un coup qu'il y a un
de mes collègues qui pourrait peut-être vous
renseigner.

Le cœur d'Imogène se mit à battre plus vite.

   Vraiment?

   Nel Winthill est un habitué de l'aéroport. Pourquoi n'aurait-il pas chargé votre homme? A mon avis, ça vaudrait la peine de lui poser la question.

   Ramenez-moi vite à l'aéroport!

   Avec votre permission, Miss, c'est chez lui que je vais vous emmener. Il garde la chambre depuis deux jours. Il prétend qu'il est malade. A mon avis, il ment car il est feignant comme un Anglais... Oh! je vous prie de m'excuser... Vous n'êtes pas anglaise, j'espère, Miss?

—  Ne soyez pas grossier, jeune homme !
Lorsque devant la demeure de Nel Winthill,

Bothwell se fit régler le prix de la course, il refusa le pourboire qu'Imogène se croyait obligée de lui donner pour le remercier de son aide.

—  Miss, je tiens pour un honneur de vous avoir
transportée dans ma voiture et cet honneur me
paie largement.

Émue Miss McCarthery montant l'escalier qui menait à l'appartement de Nel Winthill, se disait qu'il y avait encore de braves garçons sur la vieille terre écossaise.

Celle qui lui ouvrit la porte semblait venir d'un autre monde. Jeune encore, mais l'air complètement épuisé. Ses longs cheveux jaunes qui lui descendaient un peu plus bas que les épaules auraient fait penser à une noyée, mais son visage marqué de meurtrissures révélait qu'elle venait de recevoir une fameuse raclée. Cependant, si Miss McCarthery marqua quelque étonnement à la vue de cette personne en piteux état, la femme parut médusée par l'apparition d'Imogène sur son seuil et dans l'incapacité d'articuler un mot ?

    Mr Winthill, s'il vous plaît?

    Qu'est-ce que vous lui voulez à ce salaud?

   Je ne pense pas que ce gentleman soit votre mari?

   A votre idée, quel autre homme que mon mari se serait permis de m'arranger comme ça? quant au gentleman, laissez-moi rigoler!

Cette malheureuse qui parlait de rigoler fit une impression désagréable sur Imogène.

—  Pourtant, il faudrait que je parle à Mr Win-
thill.

A cet instant, une voix cria :

   Qu'est-ce que c'est, Fiona?

   Une dame qui désire vous voir.

   Amenez cette poupée!

Fiona introduisit la visiteuse et la poussant devant elle, la propulsa dans une petite salle à manger où un homme d'une quarantaine d'années mangeait une purée de pommes de terre qu'il arrosait de diverses sauces dans le vain espoir de lui donner un goût quelconque. Méchamment, Fiona siffla :

—  La voilà votre poupée, Nel!

Winthill qui portait sa fourchette à sa bouche suspendit son geste et contempla Imogène sans parvenir à reprendre ses esprits. Quant il y réussit, il ne put que dire :

—  Ça... alors! Pour quelle association quêtez-
vous, Madame?

Imogène s'assit en face du rustaud.

   Mr Winthill, je suis une demoiselle et je ne quête pas.

   Qu'est-ce que vous venez foutre ici, dans ce cas?

   Mr Winthill, je vous serais obligée de me parler sur un autre ton, sinon je vais me fâcher.

Nel s'esclaffa.

   Voilà la meilleure ! Vous entendez Fiona ? La demoiselle va se fâcher! Miss, je ne sais pas comment, je serais curieux de voir de quelle façon ça se passe quand vous vous fâchez!

   Rien de plus facile, Mr Winthill.

Avant que l'autre n'ait pu prévoir son geste, elle empoigna le plat de purée de pommes de terre et en coiffa son vis-à-vis qui, incontinent, étouffé, quelque peu brûlé, se mit à hurler en se dandinant sur place. Transportée d'enthousiasme, Fiona en profita pour flanquer le coup de pied le plus sournois à son époux qui se mit à brailler de plus belle. Quand enfin, il se fut débarrassé du plat et de la purée qui lui engluait les yeux, il rugit :

—  Vous, la toquée, ça va être votre fête !

Il ne put ajouter un mot. D'un geste vif, Miss McCarthery avait attrapé la théière et la fracassait sur le crâne de Nel Winthill qui s'écroula d'une pièce. Abasourdie, Fiona regarda son mari étalé sur le plancher, regarda Imogene et déclara d'un ton pénétré :

   Vous, au moins, on peut dire que vous êtes quelqu'un!

   C'est aussi mon avis, chère Madame. Maintenant, donnez-moi un coup de main et transportons-le sur son lit.

Nel était lourd et les deux complices eurent beaucoup de mal à l'installer confortablement. Le travail terminé, l'Écossaise prit place dans la ruelle et surveilla son patient tout en gardant, à portée de la main, sa chaussure qu'elle avait discrètement enlevée, au cas où Mr Winthill aurait un réveil ombrageux.

En ouvrant les yeux, Nel, considéra les deux femmes l'entourant. D'abord, il ne comprit pas, ensuite la vue d'Imogène lui rendit la mémoire. Il porta la main à sa tête et la compresse que Fiona y avait déposée lui fournit la preuve qu'il n'avait pas rêvé. Nel appartenait à ce genre de brutes qui se croient des terreurs parce qu'elles rouent de coups leurs épouses légitimes et que la moindre résistance annihile en les rendant à leur lâcheté naturelle. Il s'adressa en premier à Fiona :

—  Vous, vous allez savoir comme je m'appelle...
Attendez seulement que je me lève !

Mais l'attitude de Fiona acheva sa déroute. Ce n'était plus la créature soumise sur laquelle il avait l'habitude de cogner pour passer sa mauvaise humeur. Se penchant vers lui, elle lui montra un visage qu'il ne reconnaissait pas.

—  Prenez garde, Nell Winthill! Cette dame m'a
montré la manière dont je dois agir envers vous et
je vous jure que je ne l'oublierai pas, même si je
dois passer le reste de mes jours en prison! Je vous
préviens que si vous levez une seule fois la main
sur moi, j'attendrai votre sommeil et je vous
fendrai le crâne. J'espère que les juges seront
indulgents quand ils sauront l'existence infernale
que vous m'avez fait mener!

Sur ces mots, elle quitta la chambre pour bien marquer que la réaction de son mari à son discours ne l'intéressait pas. Lorsqu'elle fut sortie, Nel, se tourna vers Imogène et d'un ton pleurnicheur, demanda :

   Vous avez entendu? A cause de vous, Fiona va devenir impossible... Pourquoi venir troubler mon ménage, hein? Qu'est-ce que je vous ai fait?

   Vous m'avez menacée, Mr Winthill et nul jusqu'à ce jour n'a pu se permettre impunément de menacer Imogène McCarthery!

   Vous êtes chez moi, ici, non? Alors, fichez le camp!

    Pas avant que vous n'ayez répondu à ma question.

    Quelle question?

    Celle que j'avais l'intention de vous poser en arrivant. Vous souvenez-vous d'avoir vu cet homme ?

Ce disant, l'Écossaise mit sous le nez de sa victime la photo de Skateraw. Nel sursauta :

    Un parent?

    Non.

    Ça m'étonne parce qu'il semble avoir aussi bon caractère que vous ! c'est tout juste s'il ne s'est pas jeté sur moi quand je lui ai réclamé le prix de sa course ! Il m'a positivement injurié en me déclarant que si on était dans son pays d'Aberdeen, il me ferait coffrer!

* *  *

Perdu dans un tourbillon de cris, de protestations, le superintendent Copland ne savait ce qui l'amusait le plus : la véhémence d'Imogène McCarthery, de la solennelle conviction d'Archi-bald McClostaugh ou de la mine renfrognée de l'inspecteur Laggan qui avait peut-être bien commis une sottise en refusant de croire que Keith Skateraw pouvait avoir tué sa femme. Le superintendent avait soigneusement lu les déclarations des deux témoins, Ted Truro de Callander et Nel Winthill d'Edinburgh qui, tous deux, avaient reconnu avoir rencontré Keith Skateraw dans l'après-midi précédant le meurtre de Moira. Le super félicita Archibald et Imogène et les complimenta d'avoir travaillé ensemble. Miss McCar-thery répondit fièrement :

—  Quand le sort d'un innocent est en jeu,
Mr Copland nos querelles particulières ne comp
tent plus.

Sur ce, Imogène et Archie échangèrent un regard où palpitait tout l'orgueil des Highlands.

Fier du devoir accompli, le couple qui avait réussi à écarter le malheur de Dougal Fettercairn quitta le bureau et le superintendent conseilla à Laggan :

    Allons, Alister, ne faites pas cette tête-là. Il arrive à tout le monde de s'embarquer sur une fausse piste et si cela peut vous consoler, je vous avoue qu'à votre place, j'aurais agi de même.

    Excusez-moi, mais ce n'est pas une consolation... Monsieur, quelqu'un a menti dans cette histoire et m'a, volontairement ou non, poussé à prendre le mauvais chemin.

    Qui?

    Si à Liverpool on ne m'avait pas assuré que Skateraw se trouvait dans les Midlands au moment où l'on tuait sa femme, je me serais un peu plus intéressé à son cas.

   Et puis, vous n'avez pas ajouté foi aux affirmations de Miss McCarthery.

   Non. L'auriez-vous fait, Monsieur?

   Pas davantage, mais ce n'est pas non plus une consolation...

   Vous avez raison. Avec votre permission, j'aimerais retourner à Liverpool.

   J'attendrai votre retour pour boucler Skateraw.

* *  *

A Liverpool, Laggan apprit — en consultant les fiches de présence dont le secrétaire du Congrès avait abandonné les doubles et que la direction n'avait pas encore jetés — que le jour de la mort de Moira, les participants s'étaient offerts une journée d'excursion à l'île de Man qu'ils avaient gagnée en bateau. Le nom de Skateraw figurait sur la liste des voyageurs, mais il n'y avait pas eu de contrôle précis et l'époux de Moira avait fort bien pu filer à Callander et en revenir le matin suivant la promenade sans éveiller l'attention de personne, les congressistes ayant reçu permission de faire la grasse matinée pour se remettre des fatigues de la veille.

Ayant rendu compte téléphoniquement à Copland, Laggan reçut l'ordre de se mettre immédiatement en contact avec le C.I.D. d'Edinburgh afin d'obtenir l'arrestation et le transfert de Skate-raw à Perth.

L'inspecteur ne rencontra aucune difficulté auprès de ses collègues et avant de prendre l'autocar de Perth, il s'en fut déjeûner dans le quartier des affaires. Au restaurant, le policier était à peine installé qu'il aperçut Fettercairn en compagnie d'un ami. Estimant qu'il lui devait réparation, Alister rejoignit le jeune homme qui le pria à sa table.

   Non, non, je ne veux pas vous déranger...

   Mais vous ne me dérangez absolument pas... Permettez-moi de vous présenter Malcolm Wemyss, un ami... L'inspecteur Laggan...

Les deux hommes se saluèrent et le policier s'enquit aimablement :

—  Un de vos collègues, sans doute ?

Ne sachant trop de quelle façon exprimer ce qu'il avait à dire, le policier se perdait dans les banalités.

—  Vous occupez-vous des mêmes opérations,
que Mr Fettercairn?

   Non, non! Moi, vous savez, je suis un peu le bon à tout, bon à rien... Je passe d'un service à l'autre sans trop savoir ni pourquoi ni comment... On me donne des ordres et j'obéis sans m'inter-roger sur les conséquences, ce en quoi j'ai peut-être tort.

   J'imagine, Mr Wemyss, que vos supérieurs n'ignorent pas ce qu'ils font.

   Malheureusement, ils ne daignent pas me demander mon avis.

On rit et Laggan s'adressa à Dougal.

   Votre ami est-il au courant de vos ennuis?

   Bien sûr.

   Dans ce cas, je me félicite de sa présence pour vous apprendre que vous êtes complètement hors d'affaire et votre innocence reconnue.

   Ouf!

   Quand vous en aurez l'occasion, remerciez donc Miss McCarthery et le sergent McClostaugh qui ont réussi à découvrir deux témoins de la présence de Skateraw à Edinburgh et à Callander le soir du meurtre.

   Je n'y manquerai pas, vous pouvez en être convaincu.

*

♦   *

Laggan ayant déjeuné rapidement et seul, gagna St Andrew Square — d'où partait son car —, par le chemin des écoliers. Féru de représentations dramatiques et en étant un peu privé à Perth, il s'offrit un détour par le quartier des théâtres, s'arrêtant devant chaque affiche qu'il lisait du haut en bas avec la mine d'un chat fourrant son nez dans la crème. L'une d'elles le passionna à tel point qu'il s'en fut téléphoner à Copland en sollicitant la permission de ne rentrer que le lendemain pour pouvoir assister à la représentation d'une pièce. Le superintendent qui connaissait la faiblesse de son assistant lui accorda très volontiers ce qu'Alister lui demandait et lui souhaita de passer une bonne soirée.

Quand elle se promenait dans Callander, Imogène McCarthery paraissait ne pas toucher terre. Un seul osait afficher une aussi totale satisfaction de soi : McClostaugh. Lorsqu'il se dressait au carrefour pour assurer la circulation dans les heures de pointe, on eût dit de Jupiter réglant les destinées humaines. Son allure impressionnait et on le saluait avec déférence. De même, tout le monde — sauf quelques irréductibles, dont les trois veuves, le pasteur et sa femme — adressait de chauds sourires et de gentilles paroles à Imogène. Pour eux, elle ressemblait à une reine visitant ses sujets.

On doit reconnaître que Callander tout entier était fier de ses deux concitoyens dont le dévouement à la cause de la justice avait permis de sauver un innocent et d'envoyer un assassin devant ses juges. Il ne faisait de doute pour personne que Keith Skateraw, meurtrier de son épouse, serait condamné à être pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'ensuive. Le procès devait avoir lieu dans un mois et Archibald comme Imogène — qui y comparaîtraient en qualité de témoins — savouraient d'avance les moments de gloire qui les attendaient.

Il y avait maintenant six semaines que Skateraw se trouvait sous les verrous. En dépit de ses dénégations, il n'avait pu faire la preuve qu'il n'était pas venu à Callander. Pas un des congressistes de Liverpool ne se sentait le droit de jurer sur la Bible qu'il avait participé à l'excursion à l'île de Man où l'on avait pique-niqué, mais nul ne se souvenait d'avoir déjeuné en compagnie de l'accusé. Ce dernier répliquait qu'étant, par goût, un solitaire, il s'était écarté pour passer seul l'heure consacrée au repas. La thèse de l'accusation consistait à déclarer que Keith Skateraw avait tué sa femme pour deux motifs : elle le trompait, il en héritait, sans pouvoir affirmer laquelle de ces deux raisons avait priorité sur l'autre.

Au Fier Highlander, ainsi que chez l'épicier, les maris triomphaient et Elisabeth McGrew en apprenant la victoire de son ennemie avait attrapé une jaunisse qui ne l'embellissait pas. Elle demeura longtemps alitée en gémissant du matin au soir qu'elle allait mourir, ce que son mari exaspéré lui conseillait fortement de faire pour lui ficher enfin la paix. Cette cruauté conjugale donnait à la malheureuse une fièvre de cheval. Le Dr Elscott parla de l'envoyer à l'hôpital. Le pasteur venu la voir reçut sa confidence et le révérend Haquarson crut de son devoir d'adresser des remontrances à William McGrew.

— Votre femme m'a parlé, cher McGrew et je dois vous dire que ce qu'elle m'a appris m'a bouleversé. Il paraît que vous la traitez — bien que malade — de façon indigne d'un chrétien et d'un mari. Il faut vous imposer un effort, McGrew, sinon le Seigneur vous en tiendra rigueur !

L'épicier qui était occupé à modifier les étiquettes de certaines marchandises, posa son stylo et se leva.

   Révérend, je ne vous empêche pas de bavarder avec cette punaise d'Elisabeth, à la seule condition que vous me laissiez tranquille.

   Comment osez-vous me parler sur ce ton, William McGrew? Oubliez-vous que c'est mon propre père qui a béni votre union avec Elisabeth?

   Vous feriez mieux de ne pas me le rappeler!

   Malheureux! pensez à ce que Dieu vous réserve si vous continuez à...

McGrew attrapa le pasteur par une épaule et le secouant :

   J'ignore ce que le Seigneur me réserve lorsque je serai là-haut, — bien qu'à mon avis, il m'ait fait faire une partie de mon purgatoire sur terre — mais je sais parfaitement ce qui va vous arriver, révérend si vous continuez, à m'échauffer les oreilles !

   Et quoi donc, insolent?

   Je vous reconduis jusque dans la rue à coups de pied dans les fesses !

Les trois veuves qui arrivaient pour procéder à leurs emplettes ne comprirent pas pour quelles raisons le pasteur, les bousculant pour sortir plus vite, s'enfuit sans leur jeter le moindre coup d'œil.

Quant à Margaret Boolitt, elle errait dans le Fier Highladner pareille à une âme en peine, sous le regard triomphant de Ted. Elle évoquait l'un de ces bons vieux fantômes que le Ciel, pour les punir, oblige à revenir sur les lieux de leurs crimes. Non seulement Mrs Boolitt avait perdu la longue bataille l'opposant à Imogène Me Car-thery, mais elle avait aussi perdu sa confiance en un Dieu qui permettait le triomphe des méchants.

* *  *

Depuis l'arrestation de Skateraw, Imogène se posait une question à laquelle elle n'avait encore pu donner une réponse qui la satisfasse : devait-elle ou non révéler la vérité à la police au sujet du contenu de la valise? Avait-elle le droit de dissimuler plus longtemps qu'elle avait reçu une fortune en dépôt? Elle hésitait et cette hésitation lui gâchait parfois le sommeil, mais au-delà des lois valables pour tout le Royaume-Uni, Miss McCarthery avait sa loi directement inspirée des coutumes en usage dans les Highlands et au premier rang de celles-ci, la fidélité à la parole donnée. Un mois, si je meurs de mort naturelle, six mois si je disparais de façon violente... C'est ce qu'avait demandé Moira et Imogène respecterait la promesse faite à celle qui n'était plus. Pour apaiser sa conscience, Miss McCarthery imaginait ce que seraient l'émotion, la joie de Dougal Fettercairn lorsque — croyant recevoir des papiers destinés à perpétuer en lui le souvenir de celle qu'il avait tant aimée — il découvrirait cette fortune que la disparue lui léguait pour lui prouver sa tendresse. Toujours romantique, l'Écossaise aux cheveux rouges vivait par avance cette scène émouvante.

Peu à peu, en attendant le grand jour du procès, les esprits s'apaisèrent et Archibald McClostaugh et Imogène durent se rendre à l'évidence : rien ne s'estompe plus rapidement que la gloire, rien ne s'affaiblit plus vite que l'enthousiasme. Cependant la fièvre remonta d'un seul coup lorsqu'on apprit qu'un journaliste de Londres était descendu au Cygne Noir. Il ne faisait de doute pour personne qu'il était là pour interviewer les deux héros de Callander. La pression monta encore dans la ville quand on sut que Fettercairn, à son tour, venait d'arriver au Cygne Noir. Ted Boolit et ses copains s'affairèrent une partie de l'après-midi afin de mettre le Fier Highlander en état de recevoir comme il convenait celui qui leur devait l'honneur et la liberté.

Le journaliste qui disait s'appeler Robert Hill et être envoyé par le Guardian rendit d'abord visite à Archibald. Lorsque le sergent sut la qualité de son hôte, il se transforma. Il prit un air condescendant pour recevoir ce petit gratte-papier dont les soucis ne pouvaient se comparer aux siens.

    Vous comprenez, sir, quand on a passé autant d'années que moi dans la police de Sa Majesté, on ne peut plus apprendre grand'chose... Rien ne remplace l'expérience et, en dépit du savoir technique des gentleman du C.I.D. de Perth, j'ai tout de suite compris qu'ils se trompaient et s'embarquaient sur une fausse piste. C'est ce qu'on appelle le flair. Un don du Ciel et sans lequel il n'y a pas de bon policier.

    Si je vous comprends, sergent, vous avez été immédiatement convaincu de l'innocence de Mr Fettercairn?

    Tout de suite, sir ! C'est pourquoi je me suis mis en campagne pour dénicher le témoignage éventuel, mais indispensable qui accablerait le vrai coupable. J'ai eu la chance de le trouver et c'est ainsi que grâce à mon intelligence, à mon dévouement à la justice, une terrible erreur judiciaire a été évitée.

    Permettez-moi de vous en féliciter.

    Merci.

    On m'a dit que vous aviez été beaucoup aidé par une certaine McCarry ou Me...

    McCarthery. N'exagérons pas, voulez-vous? Une vieille fille brouillonne et qui s'entend comme pas une à susciter les complications. Toutefois, je reconnais qu'il lui arrive d'avoir des idées et de temps à autre de faire preuve de bon sens. C'est ainsi qu'elle a bien voulu entrer dans mes vues, partager les soupçons et quand je l'ai envoyée — clandestinement — à l'aéroport d'Edinburgh, elle n'a pas soulevé d'objection... (Ici, Archie prit une profonde inspiration)... que je n'aurais d'ailleurs pas tolérée!

   Elle vous craint?

   Et comment!

   Sergent, je vous remercie de tous ces détails qui intéresseront sûrement nos lecteurs.

   Vous regagnez Londres aujourd'hui?

   Non. Je ne suis plus très jeune et pas en état de supporter les fatigues d'autrefois. Je compte passer la nuit au Cygne Noir.

   Un hôtel dirigé par un imbécile, mais une maison de qualité. Faites-nous l'amitié, Mr Hill, de prendre part à la petite fête qui sera donnée à cinq heures et demie au Fier Highlander en l'honneur de Dougal Fettercain.

   Il est donc ici?

   Il est arrivé peu après vous et loge également au Cygne Noir.

* *  *

Imogène McCarthery reçut Mr Hill avec toute l'amabilité dont elle était capable, bien qu'il fût anglais. Qu'on parlât de vous dans le Guardian autorisait une légère trahison. Avant que le visiteur n'ait ouvert la bouche, elle glosa sur son père, sur Marie Stuart et sur la légitimité de ses sentiments anglophobes, ce à quoi le journaliste répliqua qu'il se voyait mal révélant ces détails à ses lecteurs. Il eût préféré que Miss McCarthery lui apprit de quelle façon elle était parvenue à démontrer l'innocence de Mr Fettercairn. Aussitôt, Imogène se lança dans un discours véhément.

— Mr Hill, le mal de notre pays — et je pense ne rien vous apprendre sur ce point — est que nos fonctionnaires s'engluent dans une routine sans espoir. La plus mince initiative les épouvante, la moindre responsabilité leur ôte le sommeil, en bref tout ce qui les arrache à leur train-train habituel leur apparaît une révolution mettant en péril le trône et la politique du Foreign Office. J'ai le regret de vous dire, Mr Hill, qu'il en est souvent de même parmi les fonctionnaires de notre police.

Le journaliste eut un sourire amusé et convint que son hôtesse avait, hélas, raison en partie, mais les restrictions importaient peu à Miss McCarthery qui repartit de plus belle.

   Voulez-vous un exemple, Mr Hill ?

   J'en serais ravi.

   Le superintendent de Perth nous a envoyé un inspecteur pour tenter d'élucider le mystère du meurtre de Moira Skateraw. Un brave et honnête policier, mais qui, malheureusement, a horreur de se risquer hors des sentiers battus. Il fait ce qu'on a toujours fait avant lui et pour rien au monde ne voudrait modifier ses méthodes en quoi que ce soit. L'hypothétique culpabilité de Mr Fettercaim le dispensant de chercher ailleurs, il eût livré un innocent au bourreau si je n'avais été là. J'ai pu mettre la main sur le témoin qui avait vu l'assassin le soir du crime à Edinburgh alors qu'il prétendait se trouver à Liverpool.

   Il paraît que vous auriez été solidement aidée dans votre tâche par le sergent McClostaugh ?

Imogène eut un gloussement amusé.

—  Archie est un excellent garçon qui n'a qu'un
défaut mais de taille : il est bête comme une oie.
Vous ne pouvez imaginer le mal qu'il m'a donné
pour le convaincre d'épouser la cause de Mr Fettercairn. En fonctionnaire respectueux de la hiérarchie, il marchait derrière l'inspecteur et croyait à la culpabilité de Mr Fettercairn. Si vous me connaissiez mieux, Mr Hill, vous sauriez que je déteste me vanter de quoi que ce soit, cependant je dois affirmer que si Mr Fettercairn peut mener une existence normale jusqu'à sa mort, c'est à Imogène McCarthery qu'il le devra.

* *  *

C'est par une véritable ovation que Dougal Fettercairn fut accueilli au Fier Highlander où Imogène McCarthery et Archibald McClostaugh se tenaient au premier rang de l'assistance. On prononça nombre de speeches. Celui d'Imogène fut pathétique à souhait, celui de Boolitt familier, celui de McClostaugh incompréhensible. Fettercairn remercia tout le monde et déclara qu'il était à Callander parce que c'était pour lui tout ensemble un plaisir et un devoir de remercier celle qui avait toujours eu confiance en lui, Imogène McCarthery. Les acclamations qui saluèrent cette déclaration réveillèrent la moitié du pays. Le journaliste du Guardian ne s'arrêtait pas de prendre des notes. Seule, ulcérée, Margaret, réfugiée  dans  un coin de  sa  cuisine,  écoutait résonner les échos du triomphe de sa vieille ennemie.

Miss McCarthery présenta Dougal à Mr Hill et ce dernier se déclara enchanté de rencontrer un homme ayant vécu des moments bien difficiles avec un courage qu'il admirait et qu'il espérait faire admirer à ses lecteurs. On se congratula de part et d'autre, puis Fettercairn demanda la permission de se retirer après avoir averti Miss McCarthery qu'il irait la saluer le lendemain en fin de matinée. Le rendez-vous fut fixé à onze heures.

Fettercairn et le journaliste réintégrèrent ensemble le Cygne Noir où ils habitaient tous deux. Ils burent un dernier whisky avant de regagner leurs chambres, toutefois Hill prit congé de Dougal dans le hall, car avant de se coucher il tenait à téléphoner à son journal en vue de préparer la parution de son article.

* *  *

Imogène avait bien fait les choses en dépit de la mauvaise humeur de Rosemary toujours grognonne quand elle jugeait que son « baby » se conduisait de façon puérile. On avait placé des petits bouquets de fleurs des champs un peu partout et débouché des flacons des meilleures marques de whisky. L'Écossaise regrettait de n'avoir pas convié le journaliste à cette réception intime, il eût pu prendre quelques photos qui, agrandies et encadrées, eussent composé un beau souvenir. Peut-être même Ted Boolitt en aurait-il pris une pour la poser au-dessus de son comptoir et, à tous ceux qui, plus tard, lui auraient demandé ce que représentait cette photo, il aurait répondu, la larme à l'œil : « Cela se passait au temps d'Imogène McCarthery... une femme comme on n'en verra plus... » et après, Ted, d'autres auraient perpétré le souvenir de l'indomptable fille du capitaine McCarthery.

A onze heures, un Fettercairn souriant fut introduit auprès d'Imogène par Rosemary. Dougal salua son amie et lui répéta une fois encore à quel point il lui était reconnaissant de tout ce qu'elle avait fait pour lui. La vieille fille lui répondit que son sauvetage demeurerait le meilleur souvenir de sa vie et qu'elle remerciait le jeune homme de ce que, grâce à lui, elle avait à nouveau, assuré son autorité sur Callander. On but à l'avenir de Dougal, à la santé d'Imogène, au souvenir di; Moira.

Un peu avant midi, Fettercairn se leva, demanda la permission à Imogène de l'embrasser (ce qu'elle accepta en rougissant) et prit congé en arguant de la nécessité pour lui, de rentrer au plus vite à Edinburgh. Déjà il avait franchi le seuil du salon suivi par le regard humide de Miss McCar-thery lorsqu'il s'arrêta pile et revenant sur ses pas, s'écria :

    Par moment, je me demande si cette histoire ne m'a pas tourneboulé l'esprit! J'allais partir sans vous réclamer la mallette que Moira vous a confiée !

    Mon Dieu! c'est vrai! Attendez un instant, je vais la chercher.

Imogène grimpa au grenier, mais au moment où la porte de celui-ci s'ouvrait dans un gémissement, elle crut entendre la pauvre voix de Moira lui remettant son trésor en dépôt. Elle redescendit !

    Mr Fettercairn, je ne puis accéder à votre demande.

    Pourquoi donc?

    Parce que Moira m'a fait promettre de ne vous remettre la mallette que six mois après sa disparition, au cas où elle succomberait à une mort violente.

— Un enfantillage, Miss... Moira était très petite fille sur certains points...

—  Cher Dougal, une McCarthery n'a qu'une
parole et ma parole je l'ai donnée à Moira Skate-
raw. Revenez dans cinq mois.

    Non, il me faut cette mallette tout de suite!

    Mais enfin, à quoi rime cette impatience? Aujourd'hui ou dans cinq mois, quelle importance ?

Blême, Dougal changea littéralement de visage.

    Je ne partirai pas d'ici sans que vous m'ayez remis le dépôt dont vous aviez la charge !

    N'y comptez pas!

    Alors, c'est ça, hein ? Elle a eu confiance en vous, mais vous voulez vous approprier le magot?

Le choc fut tel pour Imogène qu'elle faillit s'évanouir. D'un seul coup, elle avait perdu sa superbe et retrouvé son âge. Une malheureuse vieille fille s'apercevant de la vanité des illusions qui jusqu'alors, l'avaient aidé à vivre. Elle dit doucement :

    Ainsi, vous saviez...

    Naturellement! Vous ne pensez tout de même pas que je vous aurais remis cette mallette sans en connaître le contenu... Seulement, je ne me doutais pas que la petite garce me jouerait ce vilain tour des six mois d'attente! On ne peut décidément jamais avoir confiance dans les femmes !

A son tour, pâle comme une morte, Imogène s'approcha de Dougal.

—  Mr Fettercairn, c'est vous, n'est-ce pas, qui
avez assassiné Moira Skateraw pour vous emparer
des 20000 livres qu'elle avait retirées de son compte
et que vous lui aviez fait transformer en bijoux?

Avant que Dougal ait pu répondre, un autre répondit pour lui.

—  Bien sûr qu'il l'a tuée, Miss.
L'inspecteur Alister Laggan entrait par la porte

donnant sur la cuisine tandis que l'énorme silhouette d'Archibald McClostaugh s'encadrait sur le seuil du jardin et que le journaliste descendait l'escalier menant au premier étage. Devant le regard stupéfait de la maîtresse de maison, Laggan montra  le  pseudo-envoyé  du   Guardian :

—  Le sergent-détective Bert Johnson, Miss...
Eh bien! Fettercairn, je crois que la partie est
jouée pour vous, non?

Écrasé, Dougal ne réagissait plus. L'inspecteur poursuivit.

—  C'était remarquablement combiné... Mal
heureusement, dans les plus belles machinations,
il y a toujours le risque du grain de sable et cette
fois, le grain de sable a été la promesse réclamée
de Miss MacCarthery par votre victime, d'attendre
six mois avant de vous remettre les bijoux. A
propos, votre ami Wemyss est en prison et le
billet d'avion que vous avez pris pour le Canada
avant-hier soir, annulé. McClostaugh, passez-lui les menottes et tenez-le moi au frais jusqu'à ce que nous allions vous le reprendre, Bert et moi.

* * *

— Voyez-vous, Miss, j'ai toujours cru à la culpabilité de Fettercairn. Son histoire s'affirmait trop invraisemblable et la coïncidence trop forte. Comment imaginer que le mari ait attendu que votre protégé soit parti vous apporter la mallette pour commettre son forfait? De quelle façon aurait-il pu s'introduire dans l'hôtel d'abord, dans la chambre de la victime ensuite? Il aurait fallu qu'il fût au courant de la mission de son rival et connaître le temps qu'il disposait pour perpétrer son crime. A Liverpool, Skateraw m'a vraiment donné l'impression d'aimer sa femme et d'être désemparé par la nouvelle de sa mort. De plus, pour combiner un voyage aller et retour à Callander, il était obligatoire qu'il sût que ce serait cette nuit-là et non une autre que Moira vous enverrait ses bijoux par l'intermédiaire de son amant et chose plus étonnante encore, cette nuit correspondait merveilleusement à la journée passée en plein air par les congressistes. Dans notre métier, Miss, nous ne prisons guère l'intervention du hasard, surtout quand il se manifeste à plusieurs reprises dans une même affaire.

Je reconnais, toutefois, que lorsque McClos-taugh et vous-même m'avez amené vos deux témoins, j'ai été déconcerté. Puis, relisant les témoignages, j'ai été frappé par le fait qu'à Edinburgh comme à Callander, Skateraw s'était conduit de bien étrange manière. On eût dit qu'il tenait à se faire remarquer et pourquoi, par deux fois, avoir insisté sur Aberdeen comme s'il voulait qu'on se rappelle qu'il était originaire de cette ville. Seulement, Fettercairn a commis une erreur en me présentant son ami Wemyss en tant que collègue alors qu'il est comédien. Le hasard — que j'accepte toujours et dont je reconnais les bienfaits quand il travaille pour moi — me fit passer devant l'affiche d'un théâtre où, parmi les comédiens, je relevai le nom de Wemyss. J'assistai à la représentation et je reconnus le pseudo-collègue de Fettercairn. C'est alors que j'ai compris. Ma certitude fut totale avant-hier lorsque j'appris que l'homme innocenté, avait pris un billet pour Montréal. Pour quelles raisons, cette fuite? J'envoyai chercher Wemyss et jouant le tout pour le tout, je lui ai annoncé l'arrestation de Fettercairn en ajoutant que ce dernier le chargeait.   Du  coup,   il  a  réagi,   avouant  que s'étant grimé, il avait joué le rôle de Skateraw moyennant la promesse de recevoir 1 000 livres, mais a juré qu'il ignorait qu'il devait s'agir d'un meurtre. Il ne pouvait dénoncer celui dont il avait été le complice, sans se dénoncer lui-même. Il fera quelques années de prison qui lui apprendront à se montrer moins naïf.

   Et... et Dougal?

   Je crains pour lui un fâcheux rendez-vous avec le bourreau. Vous auriez dû avoir confiance en moi, Miss et m'apprendre que ce contenait la mallette, l'affaire eut été beaucoup plus vite réglée. Savez-vous que je pourrais vous inculper pour entrave à la justice ?

Imogène haussa les épaules.

—  Après cette monumentale erreur, je crains
fort d'être obligée de quitter Callander... Je ne
veux pas être la risée de mes ennemis.

* * *

McClostaugh, en traversant tout Callander avec Fettercairn enchaîné, avait suscité une émotion considérable et à ceux qui l'interrogeaient, il répondait qu'il n'avait jamais été dupe et que s'il avait agi comme on l'avait vu agir, c'était sur l'ordre de ses chefs.  Lâchement, pour redorer

Remontant vers la prison en compagnie de Johnson, l'inspecteur revoyait le visage défait d'Imogène. Il en éprouvait un léger remords. Au fond, les erreurs de la vieille fille lui avaient servi. Il ne se sentait pas le droit — fût-ce au prix d'un mensonge — de ruiner la réputation de Miss McCarthery sans qui Callander ne serait plus Callander. Ayant donné l'ordre à Johnson de rejoindre McClostaugh et de procéder aux inévitables formalités après avoir prévenu le super, il lui annonça qu'il le rejoindrait d'ici quelques instants au poste de police.

* ♦ *

L'atmosphère au « Fier Highlander » était lugubre. On y respirait le désespoir. Boolitt, les coudes sur son comptoir, tenait sa tête dans ses mains et paraissait plongé dans une mélancolie dont rien ne le pourrait plus tirer. McGrew et Fergus Mclntyre, à une table, se taisaient, n'éprouvant même pas l'envie de cogner sur ceux qui, aux tables voisines, faisaient des gorges chaudes sur les supposés talents de Miss McCarthery dont on découvrait enfin publiquement l'imposture. Quant à Margaret, complètement revigorée, elle chantonnait tout en servant une clientèle que son mari méprisait.

Comme l'inspecteur Laggan pénétrait au Fier Highlander les trois veuves sur ses talons, Ted poussa un soupir d'agonie. Il devinait qu'il allait passer quelques minutes pénibles. Il fut, toutefois, réconforté par le coup d'œil que lui adressèrent l'épicier et le garde-pêche, affirmant qu'ils étaient de cœur avec lui et qu'ils partageraient son calvaire. Margaret installa ses trois amies et leur annonça qu'elle leur offrait une tournée pour fêter ce beau jour, puis elle passa derrière le bar en remuant fièrement son pitoyable derrière, dans l'intention évidente de narguer son mari.

Après avoir bu son whisky, Laggan tendit la main à Ted et déclara qu'il retournait à Perth avec son prisonnier. Le patron ne réagissant pas, Mrs Plury qui tenait à savourer sa vengeance, s'adressa au policier :